En Guadeloupe, on a beau marcher sur du goudron troué et patauger dans des canalisations percées, un trésor national a discrètement pris la place du pétrole : le bokit. Ce sandwich frit, né des temps de disette, est devenu l’objet de toutes les convoitises. Jadis nourriture du pauvre, il trône aujourd’hui au panthéon des encas hors de prix.
Un bokit “poulet salade” ? Presque le prix d’un repas complet à Paris.
Un bokit “morue” ? On frôle la spéculation boursière.
Certains diront que c’est l’inflation. Moi je dis que c’est une OPA culinaire : le bokit s’est fait racheter par le CAC 40.
Dans les rues de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, on ne parle plus d’or noir venu du sous-sol, mais d’or frit venu de la marmite. Le bokit est désormais une valeur refuge : on n’achète plus des lingots, on stocke des tickets de caisse “bokit grillades sauce chien”.
Résultat : les Guadeloupéens hésitent à croquer dans leur bokit… de peur de grignoter leur épargne.
Et comme tout bon produit spéculatif, il attire les parasites. Les fast-foods “premium” s’emparent du concept, vendant des “bokits revisités” avec du saumon fumé et des graines de chia, pour des clients qui pensent que “bokit” est un mot japonais.
Pendant ce temps, le vrai bokit de rue, celui qui graisse le papier kraft et les doigts, devient une denrée de luxe qu’on se partage comme un cigare de contrebande.
Alors oui, en Guadeloupe, on n’a peut-être pas trouvé de gisements pétroliers. Mais on a mieux : un sandwich qui rapporte gros, tant qu’il ne vous reste pas coincé sur l’estomac… ou dans le portefeuille.
Car le bokit, ce n’est plus seulement de la farine et de l’huile. C’est une monnaie parallèle. Certains y voient déjà la “crypto-bokit” : tu en achètes un aujourd’hui, il vaut deux fois plus demain. Les cambistes de Jarry pourraient bientôt afficher le taux de change : 1 bokit = 12 dollars US = 0,5 bitcoin. On murmure même que la Banque Centrale des Caraïbes planche sur une indexation de la monnaie locale… non plus sur l’or, mais sur le bokit.
Plus fiable, plus tangible, et surtout beaucoup plus appétissant que des lingots froids. Le pire ? On s’y habitue. Les anciens racontent qu’ils achetaient un bokit pour quelques francs, un temps où la monnaie avait encore une saveur. Aujourd’hui, le bokit est devenu un investissement, une assurance-vie en papier kraft. Tu l’achètes, tu ne le manges plus : tu le conserves, tu le mets à la banque, tu attends qu’il prenne de la valeur.